C’était il y a 23 ans. La saison des expéditions à l’Everest était endeuillée par une terrible catastrophe. Dans cet épisode tragique, un homme que l’on croyait mort s’en est sorti… Extrait du livre 50 ascensions à revivre en cinq minutes…
<< Les expéditions commerciales à l’Everest virent parfois au drame. Pourtant, au milieu de pareilles tragédies, un miracle est possible. C’est l’histoire de Beck Weathers.
Au milieu des années 90, les expéditions commerciales ne sont pas encore omniprésentes sur les plus hauts sommets. Les premières ne sont au camp de base de l’Everest que depuis quelques années, à la faveur de la libéralisation de cette activité par le gouvernement népalais. En deux décennies, le nombre de clients emmenés sur le toit du monde va être démultiplié. De quelques dizaines par an à la fin des années 90, à plusieurs centaines en 2017.
En 1996, alors que la française Chantal Mauduit grimpe sur le Lhotse tout proche, une tragédie va se nouer à l’Everest. Une série d’incidents et une météo peu coopérante vont mettre à mal la prétendue sécurité vantée par les expéditions commerciales.
Le mois de mai est très chargé. Près de 500 alpinistes, guides et porteurs sont au pied de l’Everest, répartis sur les deux camps de base : au Népal et au Tibet. Parmi eux, certains ont succombé aux prospectus de papiers glacés : « l’Everest en toute sécurité ». Le journaliste du magazine américain Outside, Jon Krakauer, arrive au Népal pour enquêter sur ces nouvelles offres touristiques extrêmes. Il prend place dans l’une d’elle, organisée par une agence néo-zélandaise, pionnière en la matière : Adventure Consultants.
« ils sont tous moyennement expérimentés et assez fortunés »
Dans le reste du groupe, on trouve dix alpinistes amateurs qui ont dépensé plus de 50.000 € chacun pour grimper aux côtés de Rob Hall, un guide émérite déjà parvenu quatre fois au sommet de l’Everest. La liste des participants n’est pas très surprenante sur une expédition de ce type, ils sont tous moyennement expérimentés et assez fortunés. Beck Weathers, 49 ans, est médecin à Dallas. Lou Kasischke, 53 ans est avocat dans le Michigan. Yazuko Namba, 47 ans, est une femme d’affaires japonaise. Doug Hansen dénote un peu : c’est un facteur de l’Etat de Washington qui s’est endetté pour réaliser cette expédition : sa deuxième tentative ! L’année précédente, il avait fait demi-tour à deux pas du sommet ! Certains d’entre eux ont donc déjà des expériences à plus de 8.000 mètres, mais pas tous…
Le 31 mars 1996, l’équipe vient d’arriver à Katmandou. Quelques jours plus tard, après une semaine de trek, ils arrivent au Camp de Base de l’Everest, à 5.300 mètres d’altitude. Les tentes sont entassées, des déchets jonchent le sol, il y a beaucoup de monde. Les premiers symptômes du mal des montagnes frappent alors les clients de Rob Hall. Nausées, maux de têtes, vertiges. Mais en plusieurs semaines, ils s’acclimatent peu à peu. Pour ce faire, ils grimpent régulièrement vers des camps d’altitude et se reposent autant que possible.
Les journées se déroulent ainsi jusqu’au début du mois de mai, où le grand moment est enfin arrivé. L’expédition va profiter d’une fenêtre météo pour monter jusqu’au sommet.
« Il avait chuté au mauvais endroit, au mauvais moment »
Dans la nuit du 9 au 10 mai, Rob Hall et ses clients quittent le camp IV, à environ 8.000 mètres. Ils sont rejoints par deux autres expéditions : une américaine (de l’agence Mountain Madness) et une taïwanaise qui venait le jour même de perdre un de ses grimpeurs. Il avait chuté au mauvais endroit, au mauvais moment.
L’installation des cordes fixes n’est pas réalisée jusqu’au sommet et lorsque le groupe arrive à 8.350 mètres, il doit s’arrêter. Et patienter près d’une heure à une altitude où chaque minute qui passe réduit un peu plus les chances de survie et à plus forte raison les possibilités d’arriver au sommet. Trois cent mètres plus haut, à l’arrivée au Ressaut Hillary (du nom du premier homme à l’avoir franchi), même problème. Il faut patienter près d’une heure supplémentaire, le temps que les guides équipent la paroi pour permettre aux clients de passer.
Plusieurs membres de l’équipe font alors demi-tour, abandonnant leur rêve de sommet. L’heure limite pour faire machine arrière dans des conditions de sécurité acceptable étant largement dépassée.
Le sommet est atteint vers 13h par un des membres de l’expédition Mountain Madness, Anatoli Boukreev. Il aide ensuite plusieurs grimpeurs à atteindre le sommet, comme Yakuso Namba ou le journaliste John Krakauer. Les sherpas commencent leur descente à 15h et croisent Doug Hansen qui monte très péniblement. Il n’a plus d’oxygène dans ses bouteilles mais il est vite rejoint par Rob Hall qui l’aide à arriver en haut. Le leader du groupe Mountain Madness, Scott Fisher, ainsi que Doug Hansen et Rob Hall parviennent au sommet bien après 16 heures. Hélas, le jour commence à décliner et une tempête de neige se prépare. Exténués, malade pour Fisher, ils n’arrivent pas à redescendre et sont coincés dans le blizzard.
« il ne parvient pas à rejoindre le camp IV »
Dans la montée, l’américain Beck Weathers souffre des yeux. Opéré récemment de la myopie, les effets de la haute altitude et des ultra-violets sont rapides. Après quelques heures de montée, Weathers est aveugle. Plutôt que de redescendre, il patiente plusieurs heures, immobile, à plus de 8.000 mètres. Rob Hall qui devait l’aider à descendre en revenant du sommet n’en reviendra pas, Scott Fisher et Doug Hansen non plus. C’est donc un autre guide qui aide le Texan à descendre trop tardivement.
Pris dans la tempête, ils ne parviennent pas à rejoindre le camp IV. Ils se sont littéralement perdus. Epuisée, la Japonaise Yakuzo Namba va mourir quelque part dans ce blizzard. Après une nuit entière allongé dans la neige, Weathers arrive à se relever. Il parvient par ses propres moyens au dernier camp. En le voyant arriver, les grimpeurs qui stationnent à ce bivouac n’en croient pas leurs yeux. Ils pensent tous qu’il ne passera pas la nuit. Et pourtant, il est toujours en vie au petit matin. Il est alors aidé à descendre jusqu’à l’altitude où un hélicoptère pourra finalement l’extraire de cette terrible montagne.
Il retrouvera son Texas quelques jours plus tard, avec un demi-bras droit en moins, une main gauche sans doigts, plusieurs orteils et un nez amputés. Son front et ses oreilles en piteux état pourront être partiellement réparés par la chirurgie.
Ce mois de mai 1996 restera comme l’une des périodes les plus meurtrières de l’histoire de l’Everest. Sur ces trois jours de tentatives au sommet, huit grimpeurs ne reviendront pas vivant de la montagne. Parmi eux, des clients mais aussi des guides très expérimentés qui n’auront pas survécu à leur business.
Cette catastrophe n’aura pas ralenti le développement des expéditions commerciales. Elles sont toujours plus nombreuses à proposer leurs services. Depuis quelques années, des agences népalaises viennent compléter l’offre, sur un segment d’entrée de gamme. Depuis que ces entreprises ont fait leur apparition sur le marché, près de deux tiers des décès sur l’Everest se produisent sur ces expéditions low-cost. >>
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